mardi 24 février 2009

Un petite création littéraire... rien de moins.

Pablo Picasso, Nature morte au piano

Bémols d'un musicien

Des sons. Des notes. Des accords. Une mélodie. Une symphonie. Crescendo de la vie de Mathieu, pour qui seul le piano est d’une importance majeure.

-         Mathieu, tu viens jouer dehors?

-         Je ne peux pas. Je pratique mon piano.

Des rires. De l’incompréhension. Tout le contraire de l’ouverture d’esprit. C’est normal, Mathieu ne joue pas au hockey ou au baseball. Il est pianiste. Un tout petit pianiste à travers une multitude de grands sportifs.

 

Soupir.

 

Mathieu pleure. Un petit vibrato dans la gorge. Ses parents le rassurent. Sa mère, surtout. Elle lui dit qu’il n’a pas à s’en faire avec ceux qui croient que la musique classique n’est que pour les fillettes.

 

Demi-pause.

 

Une partition. Un métronome. Mathieu s’installe devant la bête aux couleurs de domino. Ce soir, il joue en concert. Comme d’habitude, sa maman sera au premier rang, angoissée comme jamais de peur que son petit musicien oublie une note.

 

Un point d’orgue. Des applaudissements. Du soulagement. De la fierté. Mathieu a interprété la Nocturne de Chopin avec brio. Dans l’assistance, un gamin le regarde avec épatement. C’est un de ceux, à l’école, qui considère Mathieu comme un souffre-douleur. Il est là parce que sa petite sœur joue du violoncelle. Ça doit être sa façon à lui de se faire pardonner d’avoir coupé la tête de toutes ses poupées pendant la récréation de l’après-midi. Mathieu est content. Enfin, quelqu’un va pouvoir dire que la musique peut être belle, impressionnante, et qu’être pianiste ne signifie pas être moins que rien.

 

Intervalle.

 

Mathieu est à l’école. Ses camarades rient de lui, ou pire, le dévisagent. Le garçon du concert a dit à tout le monde que Mathieu, en plus de n’être qu’un pauvre pianiste, s’est complètement planté sur scène. Tant pis.

 

Double barre de mesure, sans reprise.

 

 Fille à plumes, 2009

 

jeudi 5 février 2009

Dis maman, quand on meurt, est-ce que c'est pour la vie ?


 Crâne et Dali, Salvador Dali

L’inoubliable oublié 

 Grand-maman. Cheveux blancs, yeux gris, un peu frêle. Chaque vendredi, je lui rends visite. Son petit appartement au tapis orange donne mal au cœur. La décoration est constituée presque uniquement de bibelots qui rappellent la religion chrétienne. Au mur du fond, un tableau représente une jeune femme qui tient ses propres yeux dans sa main. C’est dégoûtant. Mais pas assez pour m’empêcher d’engloutir les caramels emballés que ma grand-mère m’offre. Les conversations sont un peu ennuyantes, parce que grand-maman aime beaucoup parler de Jésus. Moi, je ne vais jamais à l’église et les cours de catéchèse à l’école me font toujours somnoler. Je ne sais pas si c’est par envie, par obligation ou par politesse que je passe du temps chez ma grand-mère, mais elle semble être heureuse de me voir et ça me fait plaisir d’être là pour elle.

 Un jour, elle est allée habiter dans une grande maison avec une foule d’autres personnes. Au début, je croyais que c’était pour que grand-maman rencontre de nouveaux amis. J’ai compris plus tard que c’était une résidence où l’on attend la mort. Son sourire est parti en même temps qu’elle et il n’est jamais revenu. Elle ne semblait plus être heureuse de ma présence et elle ne m’appelait même plus par mon prénom. Je sentais que je n’avais plus aucune importance pour elle et je ne voulais plus aller la voir. Papa et maman m’ont expliqué que le cerveau de grand-maman était très malade. Moi, je pensais qu’ils me disaient cela pour ne pas que je sois triste à l’idée que ma grand-mère ne m’aimait plus. Entre-temps, un de ses garçons est décédé. Elle n’a même pas pleuré. Elle n’est même pas venue aux funérailles. J’en suis venue à la conclusion que ce n’était pas sa tête qui avait des bobos, mais son cœur.

 Pendant douze ans, le comportement de grand-maman n’a cessé d’empirer. Moi, je vieillissais en même temps que sa maladie. J’ai fini par comprendre que ma grand-mère ne se rendait compte de rien. Elle ne savait plus qui j’étais, qui était notre famille, qui elle était elle-même. Elle a oublié ses souvenirs, ses pensées. Elle a oublié de manger, de boire, de marcher, de parler. Elle a oublié d’aimer. Elle a oublié de vivre. Moi, je n’oublie pas. Pas encore.


Fille à plumes, 2009